Jean Anouilh :
Anouilh, Jean (1910-1987), auteur dramatique et metteur en scène français.
Né à Bordeaux, Anouilh fait des études de droit à Paris, puis travaille dans la publicité avant de devenir le secrétaire de Louis Jouvet en 1928. Cette rencontre est décisive et conforte sa volonté de se consacrer au théâtre. Ses premières pièces, l’Hermine (1932), le Voyageur sans bagages (1937) et la Sauvage (1938), rencontrent l’adhésion d’un vaste public. Elles développent une vision profondément pessimiste de l’existence.
Anouilh se révèle également doué pour la comédie, parvenant à échapper aux facilités du théâtre de boulevard jusque dans ses pièces « bourgeoises » comme le Bal des voleurs (1938). Sous l’Occupation, il donne deux adaptations modernes de tragédies grecques qui obtiennent un succès retentissant : Eurydice (1942) et Antigone (1944). L’Antigone de Sophocle devient une adolescente obstinée dont l’innocence provoque la catastrophe finale. Émaillant les dialogues de familiarités et d’anachronismes, Anouilh fait basculer sa tragédie dans un univers de violence absurde qui évoque le chaos dans lequel l’Europe se trouve alors plongée.
Épris de modernité, Anouilh est aussi un défenseur convaincu du théâtre « nouveau ». Après avoir révélé Samuel Beckett au public francophone, il défend Steve Passeur et Ionesco. Il exhume la pièce de Vitrac, Victor ou les Enfants au pouvoir, qu’il monte en 1962. Parfois considéré comme un auteur de théâtre de distraction — il a donné des pièces de pur divertissement comme la Culotte (1978) et le Nombril (1981) —, Anouilh n’en a pas moins contribué à renouveler les techniques dramatiques traditionnelles. Convaincu de l’importance primordiale du jeu et de la mise en scène, il a exploré toutes les possibilités offertes par l’espace scénique. Dénonçant le mensonge social et les idéaux naïfs, son œuvre constitue un vaste réquisitoire contre la famille, l’amour et l’amitié.
Fiche signalétique d'Antigone :
Le texte de référence est celui publié par les Éditions de la Table Ronde, en 1999.
La pièce est composée sous sa forme quasi-définitive en 1942, et reçoit à ce moment l'aval de la censure hitlérienne. Elle n'est jouée la première fois que deux ans après, le 4 février 1944, au théâtre de l'Atelier à Paris, sans doute à cause de difficultés financières. Après une interruption des représentations en août 1944, due aux combats pour la libération de Paris, elles reprennent normalement.
Le contexte historique :
Antigone est une pièce des années noires, lorsque la France connaît la défaite face aux armées nazies et elle tombe sous l'Occupation. Nous étudierons d'une part l'Occupation : la situation générale et ensuite la radicalisation du régime de Vichy et d'autre part les origines historiques de la pièce.
En 1942, Jean Anouilh réside à Paris, qui est occupée par les Allemands depuis la débâcle de 1940 et l'Armistice. La République a été abolie et remplacée par l'État français, sous la direction du maréchal Pétain. La France est alors découpée en plusieurs régions : une zone libre au Sud, sous l'administration du régime de Vichy, une zone occupée au Nord, sous la coupe des Allemands, une zone d'administration allemande directe pour les départements du Nord et du Pas-de-Calais, rattachés à la Belgique, une zone annexée au Reich : l'Alsace-Lorraine et enfin, une zone d'occupation italienne dans le Sud-Est (Savoie).
C'est à un acte de résistance qu'Anouilh doit l'idée de travailler sur le personnage d'Antigone. En août 1942, un jeune résistant, Paul Collette, tire sur un groupe de dirigeants collaborationnistes au cours d'un meeting de la Légion des volontaires français (L.V.F.) à Versailles, il blesse Pierre Laval et Marcel Déat. Le jeune homme n'appartient à aucun réseau de résistance, à aucun mouvement politique ; son geste est isolé, son efficacité douteuse. La gratuité de son action, son caractère à la fois héroïque et vain frappent Anouilh, pour qui un tel geste possède en lui l'essence même du tragique. Nourri de culture classique, il songe alors à une pièce de Sophocle, qui pour un esprit moderne évoque la résistance d'un individu face à l'État. Il la traduit, la retravaille et en donne une version toute personnelle.
La nouvelle Antigone est donc issue d'une union anachronique, celle d'un texte vieux de 2400 ans et d'un événement contemporain.
Présentation de la pièce :
Il faut garder en mémoire que dans la pièce de Sophocle le personnage tragique n'est pas Antigone, mais Créon. Comme Œdipe, son neveu, dont il prend la suite, Créon s'est cru un roi heureux. En cela, il fait preuve de "démesure" (ubris, en grec), pour cela il doit être puni. Antigone est l'instrument des dieux, Hémon le moyen, Créon la victime. Lui seul est puni en fin de compte. La mort d'Antigone n'est en rien une punition, puisqu'elle n'a commis aucune faute, au regard de la loi divine - au contraire. La tragédie est celle d'un homme qui avait cru à son bonheur et que les dieux ramènent aux réalités terrestres.
Représentée dans un Paris encore occupé, Antigone à sa création a suscité des réactions passionnées et contrastées. Le journal collaborationniste Je suis partout porte la pièce aux nues : Créon est le représentant d'une politique qui ne se soucie guère de morale, Antigone est une anarchiste (une "terroriste", pour reprendre la terminologie de l'époque) que ses valeurs erronées conduisent à un sacrifice inutile, semant le désordre autour d'elle. Des tracts clandestins, issus des milieux résistants, menacèrent l'auteur.
Mais simultanément, on a entendu dans les différences irréconciliables entre Antigone et Créon le dialogue impossible de la Résistance et de la collaboration, celle-là parlant morale, et celui-ci d'intérêts. L'obsession du sacrifice, l'exigence de pureté de l'héroïne triomphèrent auprès du public le plus jeune, qui aima la pièce jusqu'à l'enthousiasme. Les costumes qui donnaient aux gardes des imperméables de cuir qui ressemblaient fort à ceux de la Gestapo aidèrent à la confusion. Pourtant, même sur ces exécutants brutaux Anouilh ne porte pas de jugement : "Ce ne sont pas de mauvais bougres, ils ont des femmes, des enfants, et des petits ennuis comme tout le monde, mais ils vous empoigneront les accusés le plus tranquillement du monde tout à l'heure. Ils sentent l'ail, le cuir et le vin rouge et ils sont dépourvus de toute imagination. Ce sont les auxiliaires toujours innocents et toujours satisfaits d'eux-mêmes de la justice.".
Même si les positions politiques ultérieures d'Anouilh, et tout son théâtre, plein de personnages cyniques et désabusés, le situent dans un conservatisme ironique, on peut postuler qu'Antigone est en fait une réflexion sur les abominations nées de l'absence de concessions, que ce soit au nom de la Loi (Créon) ou au nom du devoir intérieur (Antigone). C'est le drame de l'impossible voie moyenne entre deux exigences aussi défendables et aussi mortelles, dans leur obstination, l'une que l'autre.
Structure de la pièce :
Anouilh a repris le cadre général de la pièce de Sophocle. Le rideau s'ouvre au petit matin sur la ville de Thèbes, juste après la proclamation du décret de Créon, au sujet duquel Antigone s'oppose à sa sœur Ismène. Créon apprend d'un garde que le corps de Polynice a reçu les hommages funèbres, puis voit Antigone amenée devant lui et la condamne à mort. Hémon vient supplier son père, sans succès et s'enfuit. Antigone fait une dernière apparition, puis marche vers la mort. Un messager apporte sur scène la nouvelle du suicide d'Hémon, puis de la reine. Le rideau tombe sur Créon, qui reste seul sur une scène dévastée.
Le texte d'Anouilh se présente comme une suite ininterrompue de répliques, sans aucune des divisions formelles qui font la tradition du théâtre français. Sans acte, sans scène, Antigone se veut dans sa présentation le récit continu d'une journée où se joue le destin de l'héroïne.
Anouilh ne se propose toutefois pas de révolutionner l'écriture théâtrale, et l'absence de divisions n'est qu'affaire de forme. La pièce se déroule de façon classique, rythmée par les entrées et les sorties des personnages, qui permettent de restituer l'architecture traditionnelle des scènes et de proposer la numérotation suivante :
Pages
Scène
Personnages
9-13
1
Le Prologue
13-20
2
Antigone, la Nourrice
21
3
Antigone, la Nourrice, Ismène
22-31
4
Antigone, Ismène
31-36
5
Antigone, la Nourrice
37-44
6
Antigone, Hémon
45-46
7
Antigone, Ismène
46-53
8
Créon, le Garde
53-55
9
Le Chœur
55-60
10
Antigone, le Garde, le Deuxième Garde, le Troisième Garde
60-64
11
Antigone, les Gardes, Créon
64-97
12
Antigone, Créon
97-99
13
Antigone, Créon, Ismène
99-100
14
Créon, le Chœur
100-105
15
Créon, le Chœur, Hémon
105-106
16
Créon, le Chœur
106
17
Créon, le Chœur, Antigone, les Gardes
106-117
18
Antigone, le Garde
117-119
19
Le Chœur, le Messager
119-122
20
Le Chœur, Créon, le Page
122-123
21
Le Chœur, les Gardes
Les personnages de la pièce
Les relations entre personnages sont en partie imposées par le modèle de Sophocle et la mythologie. Les liens de parenté ne sont aucunement modifiés, et l'on retrouve le traditionnel tableau de famille des Labdacides.
Antigone :
Personnage central de la pièce dont elle porte le nom, Antigone est opposée dès les premières minutes à sa sœur Ismène, dont elle représente le négatif. "la petite maigre", "la maigre jeune fille noiraude et renfermée" (p. 9), elle est l'antithèse de la jeune héroïne, l'ingénue, dont "la blonde, la belle, l'heureuse Ismène" est au contraire l'archétype.
Comme Eurydice, comme Jeanne d'Arc dans L'Alouette, elle a un physique garçonnier, sans apprêts : elle aime le gris : "C'était beau. Tout était gris", "monde sans couleurs", "La Nourrice (...) Combien de fois je me suis dit : "Mon Dieu, cette petite, elle n'est pas assez coquette ! Toujours avec la même robe et mal peignée", Antigone le dit elle même : "je suis noire et maigre".
Opiniâtre, secrète, elle n'a aucun des charmes dont sa sœur dispose à foison : elle est "hypocrite", a un "sale caractère", c'est "la sale bête, l'entêtée, la mauvaise". Malgré cela, c'est elle qui séduit Hémon : elle n'est pas dénuée de sensualité, comme le prouve sa scène face à son fiancé, ni de sensibilité, dont elle fait preuve dans son dialogue avec la Nourrice.
Face à Ismène, Antigone se distingue au physique comme au moral, et peut exercer une véritable fascination : Ismène lui dit : "Pas belle comme nous, mais autrement. Tu sais bien que c'est sur toi que se retournent les petits voyous dans la rue ; que c'est toi que les petites filles regardent passer, soudain muettes sans pouvoir te quitter des yeux jusqu'à ce que tu aies tourné le coin." (pages 29-30)
Comme le basilic des légendes, dont le regard est mortel, Antigone pétrifie et stupéfait, car elle est autre. Son caractère reçoit cette même marque d'étrangeté qui a séduit Hémon et qui manque à Ismène, ce que Créon appelle son orgueil. Quelque chose en elle la pousse à aller toujours plus loin que les autres, à ne pas se contenter de ce qu'elle a sous la main : "Qu'est-ce que vous voulez que cela me fasse, à moi, votre politique, votre nécessité, vos pauvres histoires ? Moi, je peux encore dire "non" encore à tout ce que je n'aime pas et je suis seule juge." (p. 78)
Cette volonté farouche n'est pas tout à fait du courage, comme le dit Antigone elle-même (p. 28) ; elle est une force d'un autre ordre qui échappe à la compréhension des autres.
Ismène :
Elle "bavarde et rit", "la blonde, la belle" Ismène, elle possède le "goût de la danse et des jeux [...] du bonheur et de la réussite, sa sensualité aussi", elle est "bien plus belle qu'Antigone", est "éblouissante", avec "ses bouclettes et ses rubans", "Ismène est rose et dorée comme un fruit".
"sa sœur" possède une qualité indomptable qui lui manque : elle n'a pas cette force surhumaine. Même son pathétique sursaut à la fin de la pièce n'est pas à la hauteur de la tension qu'exerce Antigone sur elle-même : "Antigone, pardon ! Antigone, tu vois, je viens, j'ai du courage. J'irai maintenant avec toi. [...] Si vous la faites mourir, il faudra me faire mourir avec elle ! [...] Je ne peux pas vivre si tu meurs, je ne veux pas rester sans toi !" (pages 97-98).
C'est sa faiblesse même, et non sa volonté, qui la pousse à s'offrir à la mort. Antigone le voit bien, et la rudoie avec mépris : "Ah ! non. Pas maintenant. Pas toi ! C'est moi, c'est moi seule. Tu ne te figures pas que tu vas venir mourir avec moi maintenant. Ce serait trop facile ! [...] Tu as choisi la vie et moi la mort. Laisse-moi maintenant avec tes jérémiades." (page 98)
Les deux rôles féminins de la pièce sont diamétralement opposés. Ismène est une jolie poupée que les événements dépassent. Antigone au contraire est caractéristique des premières héroïnes d'Anouilh : elle est une garçonne qui dirige, mène et vit son rôle jusqu'au bout.
Créon :
"son oncle, qui est le roi", "il a des rides, il est fatigué", "Avant, du temps d'Œdipe, quand il n'était que le premier personnage de la cour, il aimait la musique, les belles reliures, les longues flâneries chez les petits antiquaires de Thèbes".
C'est un souverain de raccroc, tout le contraire d'un ambitieux. Besogneux et consciencieux, il se soumet à sa tâche comme à un travail journalier, et n'est pas si différent des gardes qu'il commande. "Thèbes a droit maintenant à un prince sans histoire. Moi, je m'appelle seulement Créon, Dieu merci. J'ai mes deux pieds sur terre, mes deux mains enfoncées dans mes poches, et, puisque je suis roi, j'ai résolu, avec moins d'ambition que ton père, de m'employer tout simplement à rendre l'ordre de ce monde un peu moins absurde, si c'est possible." (pages 68 et 69)
Au nom du bon sens et de la simplicité, Créon se voit comme un tâcheron, un "ouvrier" du pouvoir (page 11). Il revendique le manque d'originalité et d'audace de sa vision, et plaide avec confiance pour la régularité et la banalité de l'existence. Sa tâche n'est pas facile, mais il en porte le fardeau avec résignation.
Personnage vieilli, usé, il se distingue par sa volonté d'accommodement ; mais il avoue aussi avoir entretenu d'autres idéaux : "J'écoutais du fond du temps un petit Créon maigre et pâle comme toi et qui ne pensait qu'à tout donner lui aussi..." (page 91). Créon se considère lui-même comme une Antigone qui n'aurait pas rencontré son destin, une Antigone qui aurait survécu.
Les gardes :
Ce sont " trois hommes rougeauds qui jouent aux cartes", "ce ne sont pas de mauvais bougres", "ils sentent l'ail, le cuir et le vin rouge et ils sont dépourvus de toute imagination". Ces gardes représentent une version brutale et vulgaire de Créon. Leur langage sans raffinement, leur petitesse de vue en font des personnages peu sympathiques, dont les rares bons mouvements ne suffisent pas à cacher la peur de la hiérarchie ("Pas d'histoires !" revient souvent dans leur bouche). Sans être totalement réduits à l'état de machines, ils sont essentiellement un instrument du pouvoir de Créon, et rien de plus : "Le Garde : S'il fallait écouter les gens, s'il fallait essayer de comprendre, on serait propres." (p. 55)
Leur soumission à Créon n'est pas établie sur la base d'une fidélité personnelle. Ils sont des auxiliaires de la justice, respectueux du pouvoir en place, et ce quel que soit celui qui occupe le pouvoir. Le Prologue indique bien que rien ne leur interdirait de se retourner contre Créon, si celui-ci était déchu : "Pour le moment, jusqu'à ce qu'un nouveau chef de Thèbes dûment mandaté leur ordonne de l'arrêter à son tour, ce sont les auxiliaires de la justice de Créon." (p. 12)
Sans états d'âme, ils passent au travers de la tragédie sans rien comprendre, et le rideau tombe sur eux, comme il tombe dans Médée sur un garde et la Nourrice, après le suicide de Médée et le meurtre de ses enfants :
Hémon :
Le "jeune homme", "fiancé d'Antigone", est le fils de Créon, c'est un personnage secondaire qui n'apparaît qu'en deux occasions, soumis à Antigone et révolté contre Créon ; ses propos sont courts et simples ("Oui, Antigone."), ou témoignent d'une naïveté encore enfantine. La peur de grandir se résume chez lui à l'angoisse de se retrouver seul, de regarder les choses en face : "Père, ce n'est pas vrai ! Ce n'est pas toi, ce n'est pas aujourd'hui ! Nous ne sommes pas tous les deux au pied de ce mur où il faut seulement dire oui. Tu es encore puissant, toi, comme lorsque j'étais petit. Ah ! Je t'en supplie, père, que je t'admire, que je t'admire encore ! Je suis trop seul et le monde est trop nu si je ne peux plus t'admirer." (p. 104)
Fiancé amoureux, enfant révolté, il est par son caractère davantage proche d'Ismène, à qui le Prologue l'associe, que d'Antigone.
Eurydice :
C'est "la vieille dame qui tricote", la "femme de Créon", "elle est bonne, digne, aimante", mais "Elle ne lui est d'aucun secours"
Le Page
Accompagnant Créon dans plusieurs scènes, il représente l'innocence émouvante, l'enfant qui voit tout et ne comprend rien, qui n'est pour l'instant d'aucune aide, mais qui, à son tour, un jour, pourrait bien devenir Créon ou Antigone.
La Nourrice :
Personnage traditionnel du théâtre grec, mais inexistant dans la pièce de Sophocle, elle a été créée par Anouilh pour donner une assise familière à la pièce, et davantage montrer l'étrangeté du monde tragique. Avec elle, ni drame ni tragédie, juste une scène de la vie courante, où la vieille femme, affectueuse et grondante, est une "nounou" rassurante, qui ne comprend rien à sa protégée : "Tu te moques de moi, alors ? Tu vois, je suis trop vieille. Tu étais ma préférée, malgré ton sale caractère." (p. 20). Elle "a élevé les deux petites".
Le Messager :
C'est un "garçon pâle [...] solitaire". Autre personnage typique du théâtre grec, il apparaît dans la pièce de Sophocle. Il se borne à être la voix du malheur, celui qui annonce avec un luxe de détails la mort d'Hémon. Dans le récit du Prologue, il projette une ombre menaçante : "C'est lui qui viendra annoncer la mort d'Hémon tout à l'heure. C'est pour cela qu'il n'a pas envie de bavarder ni de se mêler aux autres. Il sait déjà..." (p. 12)
Le Chœur
Ce personnage joue aussi le rôle de messager de mort, mais son origine le rend plus complexe. Dans les tragédies grecques, le chœur est un groupe de plus d'une dizaine de personnes, guidé par le personnage du Coryphée. Il chante, danse peut-être, et se retrouve le plus souvent en marge d'une action qu'il commente.
Dans Antigone, le Chœur est réduit à une seule personne, mais a gardé de son origine une fonction collective, représentant un groupe indéterminé, celui des habitants de Thèbes, ou celui des spectateurs émus. Face à Créon, il fait des suggestions, qui toutes se révèlent inutiles.
"Ne laisse pas mourir Antigone, Créon ! Nous allons tous porter cette plaie au côté, pendant des siècles. [...] C'est une enfant Créon. [...] Est-ce qu'on ne peut pas imaginer quelque chose, dire qu'elle est folle, l'enfermer ? [...] Est-ce qu'on ne peut pas gagner du temps, la faire fuir demain ?" (pages 99 à 102)
Comme dans le théâtre antique, le chœur garde également une fonction de commentateur. Isolé des autres personnages, il se rapproche du Prologue : il scande l'action pratiquement dans les mêmes termes. "Et voilà. Maintenant le ressort est bandé. Cela n'a plus qu'à se dérouler tout seul." (p. 53) "Et voilà. Sans la petite Antigone, c'est vrai, ils auraient tous été bien tranquilles. Mais maintenant, c'est fini." (p. 122) Son "voilà" bat la mesure d'un mouvement que le "Voilà" du Prologue avait mis en branle.
Autres personnages :
- "les deux fils d'Œdipe, Etéocle et Polynice" : "se sont battus et entre-tués sous les murs de la ville" :
- "Etéocle l'aîné" : " le bon frère", "le fils fidèle d'Œdipe", "le prince loyal", il a eu d'imposantes funérailles
- "Polynice, le vaurien, le voyou", "mauvais frère", "il a toujours été un étranger" pour sa sœur Ismène, "un petit fêtard imbécile", "un petit carnassier dur et sans âme", "une petite brute tout juste bonne à aller plus vite que les autres avec ses voitures, à dépenser plus d'argent dans les bars.", il a été laissé à pourrir dehors.
- mais, en vérité, ce sont tous les deux des crapules : Etéocle "ne valait pas plus cher que Polynice", "deux larrons en foire", "deux petits voyous"
- "Madame Jocaste" maman d'Antigone
- Douce, sa chienne
Le style de Jean Anouilh :
-Le discours familier :--Mauvaise -Etre sans rien -Toi c’est ce qui te passe par la tête -c’est pas leurs oignons.
-Les anachronismes :Jouer aux cartes --Le bureau-Le conseil guerre -un soir de bal
LE REGISTRE TRAGIQUE
Vocabulaire : inséparable de son contexte religieux ,ce registre utilise un lexique noble et solennel qui est souvent en rapport avec le Destin. Pris au piège du déterminisme de ses dieux ou de ses passions, le héros tragique exprime sa douleur dans un vocabulaire moral où s'allient lucidement l'impuissance et la révolte.
Formes : les interrogations, les exclamations expriment la détresse de l'individu pris au piège. Apostrophes et invocations prennent à témoin les instruments du fatum, dans la plainte ou la colère (imprécations, lamentations). La phrase ou le vers, amples et solennels, contribuent à inspirer au public horreur, effroi et compassion devant un destin exemplaire.
LE REGISTRE COMIQUE
Formes : quelles qu'en soient les formes, c'est toujours d'un décalage qu'est fait le comique : décalage entre la souplesse du vivant et le mécanisme d'une situation; décalage entre l'apparence de sérieux et le ridicule ou l'énormité du propos (humour). Le comique est toujours pour cela, à des degrés divers, dominé par un registre parodique. Il manifestera ce décalage par l'alliance de termes au niveau de langue différent, par les jeux de mots, l'utilisation incongrue d'un vocabulaire et d'une syntaxe (lexique précieux appliqué à une situation triviale). Le registre comique naît souvent aussi de reprises parodiques (pastiche littéraire, clichés détournés).
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Etude d’un texte
La tirade de Créon p 68/69
Situation
Antigone a été arrêtée et Créon veut comprendre pourquoi elle a agi. Créon veut étouffer l’affaire mais il se heurte à la détermination d’Antigone. Elle est de la race des orgueilleuses et lui s’oppose à cette race, il a une conception plus modeste et plus efficace de son métier de roi.
Lecture du texte
Annonce des axes
I - l’orgueil des Labdacides
La didascalie nous indique que Créon murmure car à ce moment-là, il prend conscience de la vraie nature d’Antigone.
" L’orgueil d’Œdipe " : il commence par une phrase minimale elliptique (sans verbe et qui va à l’essentiel) dont les mots sont mis en valeur par la répétition du son " e ".
Il répète " l’orgueil d’Œdipe " et cette prise de conscience se fait par le regard déterminé d’Antigone et les yeux sont le miroir de l’âme.
Le mot oui montre qu’il se rappelle du passé et qu’il connaît bien Œdipe et son orgueil pour avoir sauvé Thèbes du sphinx et de la peste.
Il se rend compte qu’Antigone veut être la meilleure comme son père.
Il s'est entièrement trompé sur son compte, il pensait qu’elle échapperait à la sanction, mais son destin est la mort.
Il met en évidence que la race des héros n’est faite ni pour le malheur ni pour le bonheur. L’humain ne les intéresse pas, il leur faut l’exceptionnel. " L’humain vous gêne aux entournures " métaphore originale, l’humain est comparé à un vêtement trop étriqué qui gêne les mouvements. Ils veulent affronter leurs destins au lieu de le subir.
Il rappelle le destin d’Œdipe, ce destin provoque chez eux du plaisir " avidement " " goulûment ".
Pour Créon, ce bonheur de faire souffrir autrui qui leur donne du plaisir est un bonheur à l’envers.
Selon lui, les héros et les humains s’opposent, les héros sont heureux d’aller si loin dans leur malheur, ils ont conscience d'avoir un destin unique.
Œdipe s’est auto-puni car il ne voulait pas vivre avec la vérité. Créon le considère comme un lâche. C’est pourquoi il refuse d’être un héros, il veut être un homme simple et réaliste. Il est un prince sans histoire.
II - Créon, un homme déterminé et réaliste
Le " non " s’oppose au " oui " du début. L’objectif de Créon est l’organisation de la cité. Le passé ne doit plus resurgir. La ville est personnifiée " Thèbes à droit ". Elle sera gouvernée par un homme comme les autres. " Moi, je m’appelle seulement Créon ".
Œdipe était un héros, Créon est un homme simple et il est content de l’être " Dieu merci "
Deux métaphores : " les pieds sur terre " " les mains des les poches ". Son projet est de rétablir l’ordre à Thèbes. Il présente cela comme un travail simple et modeste. Il va exercer sa charge de roi avec dévouement même s’il n’a pas choisi d’être roi. Antithèse entre " aventure et " métier " rappelle le destin d’Œdipe opposé à l’énergie de Créon. Il va le prendre comme consciencieux " je vais le faire ".
Il anticipe l’avenir " si demain " et suppose qu’il pourrait être confronté au même problème qu'Œdipe. Lui réagirait différemment et traiterait le problème avec mépris.
L’homme est en partie responsable de son destin. Créon est un roi et ne veut pas se pencher sur ses états d’âmes. Son rôle politique est plus important que sa vie privée. Le collectif passe avant le personnel.
Conclusion
Conception très noble de la royauté et du pouvoir. Dévouement total à son métier alors qu’Œdipe est présenté comme un personnage égoïste et narcissique. Différence entre le héros et les hommes (thème d’Anouilh)
Idée très romantique reprise par Victor Hugo dans Hernani.
Créon ?
Éléments pour l'instruction du procès de Créon
Ce que l’on peut lui reprocher
Créon a édicté une loi injuste, contraire à la santé publique (risque d’épidémie) ;
Il a fait mettre à mort avec cruauté une jeune fille, sa nièce, au nom d’une loi de circonstance ;
Il a causé la mort indirectement de deux autres personnages après les avoir réduits au désespoir (Hémon et Eurydice) ;
Il a cherché à sauver Antigone mais en étant prêt à faire " disparaître " les gardes, qui n’ont fait qu’exécuter ses ordres ;
Il a gouverné de manière autoritaire, sans tenir compte de lois promulguées par une assemblée.
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Le texte de théâtre
1 — LE TEXTE
À la différence des autres genres littéraires (roman, poésie,…) qui sont complets sous leur forme imprimée, un texte de théâtre est conçu pour être dit et représenté. Il est donc composé de deux ensembles distincts : le texte prononcé par les acteurs et les didascalies.
a — Les didascalies
Il s’agit de l’ensemble des indications scéniques concernant les décors, l’époque, le passage du temps, les costumes, les accessoires, les gestes de l’acteur, les intonations de sa voix, l’éclairage, le bruitage, la musique, etc. L’indication des noms des personnages fait aussi partie des didascalies. Certaines sont imprimées en italique.
b — Le texte prononcé
Réplique : chaque élément du dialogue que doit prononcer un acteur.
Tirade : longue réplique.
Monologue : réplique qu’un personnage seul en scène adresse à soi-même (ou au public.)
Aparté : réplique que le personnage prononce pour soi et que le public est censé être le seul à entendre ; en général un aparté est indiqué par la formule « à part ».
Interruption : inachèvement d’une réplique (volontaire ou non de la part du personnage.)
N.B.: Le texte prononcé fournit lui aussi des indications sur le temps, le lieu, etc.
2 — LES PARTIES DE LA REPRÉSENTATION
Acte : grande subdivision d’une pièce qui correspond à une étape importante de l’action.
Tableau : Partie d’une pièce marquée par un changement de décor.
Une scène s’achève ou commence quand un personnage entre ou sort. [Chez Shakespeare, ce terme est plutôt synonyme de « tableau».]
Un entracte prend place entre deux actes; il permet aux spectateurs de se délasser.
3 — LE RÉCIT THÉÂTRAL
a — Les moments essentiels
L'intrigue est l’enchaînement des faits et des actions qui aboutit au dénouement. Les épisodes correspondent aux différents moments du déroulement de l’action. Les principaux moments sont trois :
Exposition : présentation (au premier acte et dès le début de la pièce) des principaux personnages, de la situation et des faits qui ont préparé l’action.
Le nœud dramatique précise la nature du conflit et l’urgence de la situation.
Dénouement : achèvement et résolution de l’action.
b — Quelques procédés
Quiproquo : situation qui résulte d’une méprise sur l’identité d’un personnage. Cet effet suppose une différence d’information entre le public et les personnages.
Péripétie : changement subit de situation.
Coup de théâtre : brutal renversement de situation.
COMIQUE de gestes (l’ensemble des jeux de scène qui provoquent le rire), de mots (répétitions, jurons, jeux de mots, calembours), de situation (enchaînement des événements: rencontres fortuites, quiproquo, personnages cachés, etc.), de caractère (fondé sur la psychologie des personnages qui prêtent à rire (les vieillards, les avares, les jaloux, etc.)
4 — LE THÉÂTRE CLASSIQUE
La règle des trois unités :
Unité d’action (l’intérêt doit être centré sur une seule intrigue), de temps (l’action doit se dérouler en vingt-quatre heures), de lieu (tout doit se passer au même endroit.)
La Bienséance : une autre règle précise qu’aucune action ne doit se dérouler sur scène ; elles doivent seulement y être racontée. De plus le langage doit être convenable, et les personnages doivent s'exprimer en fonction de leur classe sociale.
Questions à se poser pour analyser…
o UNE PIÈCE
Faire un tableau avec, en verticale, les scènes, et en horizontale les personnages.
Se demander :
— à quel moment un personnage apparaît pour la première fois
— qui est le plus souvent présent en scène (le héros ou un autre personnage ?)
— comment se répartissent les scènes à 1, 2, 3, … personnages.
— quels personnages se rencontrent, lesquels ne se rencontrent jamais.
o UNE SCÈNE
+ QUAND ?
À quel moment de la pièce ?
À quel moment de l’action ?
+ OÙ ?
Y a-t-il des lieux différents ?
Le lieu a-t-il une importance dramatique ?
+ QUI ?
Sont-ce des personnages principaux ?
Entrent-ils dans des couples d’opposition ?
Que sait-on déjà d’eux ? Qu'apprend-on de nouveau ?
Est-ce leur première apparition ?
Se sont-ils déjà rencontrés ?
Se rencontreront-ils encore ?
+ LA COMMUNICATION
Est-ce que tous parlent ?
Qui parle à qui ? [Toujours double énonciation
— pour l'interlocuteur/l’autre personnage
— pour le public]
Les interventions des différents personnages sont-elles de longueur égale ?
Qui parle le plus ?
Qui domine ?
Certains personnages sont-ils cachés ?
+ QUE DISENT- ILS ?
Apportent-ils des informations nouvelles ?
Que veut chacun d'entre eux ?
Quel est l'enjeu du dialogue ?